Cela faisait un moment que ce livre me faisait de l’œil, et je l’ai enfin lu. Plus qu’une lecture, c’est un moment d’introspection philosophique. J’ai adoré cet univers glacial, celui du lac Baïkal, la solitude de l’auteur qui pousse à la réflexion sur soi et sur le monde.

Dans les forêts de Sibérie est à la fois un récit de voyage, un traité de philosophie, un recueil de citations de divers livres, un carnet de poésie, une leçon de vie, une découverte de la culture russe, une ode à la liberté, à la nature, à soi.

L’auteur part vivre six mois seul dans une cabane en bois sur les rives du lac Baïkal en Russie. Six mois de frugalité, de simplicité, de temps libre à n’en plus finir, d’observation de la nature. Six mois à boire de la vodka.

Dans les forêts de siberie
Lac Baïkal, en Sibérie

Le texte est écrit comme un journal. La préface campe très bien le décor et la force de cette expérience que l’auteur s’apprête à partager avec le lecteur :

Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle, j’ai vécu une existence resserrée autour de gestes simples. J’ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J’ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et bu de la vodka, à la fenêtre. La cabane était un poste d’observation idéal pour capter les tressaillements de la nature. [… ]

Au fond de la taïga, je me suis métamorphosé. l’immobilité m’a apporté ce que le voyage ne me procurait plus.

Un pas de côté


Ainsi commence le voyage immobile… L’immensité blanche est propice à la poésie. Les vers sont tracés pour ne pas durer, la poésie offerte comme un moment qui passe. Même seul, même sans papier, au bout du monde, l’auteur a besoin d’écrire, de créer :

Sur la neige, avec un bâton, je trace le premier poème d’une série de « haïkus des neiges » : Pointillé des pas sur la neige : la marche couture le tissu blanc.
L’avantage de la poésie inscrite sur la neige, c’est qu’elle ne tient pas. Les vers seront emportés par le vent.

23 février

Puis vient l’ennui. Il permet à l’ermite d’accorder plus d’importance à chaque chose. La lumière, les matières, le moindre détail est digne d’être observé :

Parfois, cette envie de ne rien faire. Je suis depuis une heure assis à ma table et je surveille la progression des rais du soleil sur la nappe. La lumière anoblit tout ce qu’elle effleure. Le bois, la tranche des livres, le manche des couteaux, la courbe du visage et celle du temps qui passe, et même la poussière en suspens dans l’air.

Ce n’est pas rien d’être grains de poussière en ce monde.

Voilà que je m’intéresse à la poussière. Le mois de mars va être long.

28 février
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

Prendre conscience du temps qui passe et profiter de chaque instant sont le secret que va révéler la cabane. L’homme a tendance à oublier le temps pour ne pas voir qu’il fuit. Mais prendre conscience du temps qui passe, au contraire, est une richesse, et permet de se gorger de chaque minute. La liberté des grands espaces et ainsi liée à l’effacement des contraintes du temps :

L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elles coulent de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil, et soudain, on ne sait même plus s’il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont.

3 mars

Choisissez vos lectures parmi un catalogue de plus d’un million de livres ! Essayez gratuitement l’abonnement kindle pendant 14 jours

Dans les forêts de siberie
Forêt sibérienne

Vivre si près de la nature, au contact avec elle tous les jours, ouvre les yeux sur le fait que nous ne sommes pas les seuls êtres vivants. On a parfois tendance à l’oublier. Les arbres aussi sont vivants, et ont une vie.

Poussés sur la ligne de crête d’une vallée sauvage, ayant survécu à cent ou cent cinquante hivers sibériens, ces cèdres se retrouveront débités en baguettes destinées à fourrer les nouilles d’une soupe au fond du gosier d’un ouvrier de Shanghai employé à la construction d’un centre commercial pour expatriés. Les temps sont durs pour les sapins.

4 mars

Tout finit par arriver. Les rêves de nouvelles vie aussi, ils sont réalisables pour qui s’en donne les moyens. C’est un peu comme des vacances que l’ont attend avec impatience, le temps semble long lorsqu’on attend, mais ensuite lorsque les vacances sont là, alors on se dit que la roue du temps est inéluctable.

Pendant cinq années, j’ai rêvé à cette vie. Aujourd’hui, je la goûte comme un accomplissement ordinaire. Nos rêves se réalisent mais ne sont que des bulles de savon explosant dans l’inéluctable.

9 mars
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

L’homme est nuisible pour les êtres vivants, par ses interactions, sa pollution… Vivre en ermite, à l’écart de tout, permet de s’effacer.

Aujourd’hui, je n’ai nui à aucun être vivant de cette planète. Ne pas nuire.

21 mars
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

Malgré tout, l’homme ne peut pas vivre complètement seul. Il doit interagir avec les autres. Ainsi dans son aventure, Sylvain Tesson parle avec lui-même, écrit, rend visite à des amis russes à trois jours de marche de sa cabane, adopte deux chiens, et s’intéresse aux oiseaux. Il suffit de connaître les choses, les êtres, le monde, pour les aimer. La connaissance est la source de l’amour.

Depuis quelques jours, je me livre à une expérience pavlovienne qui commence à porter ses fruits. A 9h, je joue un air de flûte à ma fenêtre avant de jeter des miettes aux mésanges. Ce matin, elles sont arrivées aux premières notes, bien avant que je ne dispose leur dû. Je hume l’air de l’aube, entouré d’oiseaux. Il ne manque que Blanche-Neige.

31 mars

Le courage du chien : il regarde ce qui surgit devant lui sans se demander si les choses auraient pu se passer autrement.

27 mai

J’essaie d’identifier chacun des visiteurs du ciel. Nommer les bêtes et les plantes d’après les guides naturalistes, c’est comme reconnaître les stars dans la rue grâce aux journaux people. Au lieu de « Oh ! Mais c’est Madonna ! », on s’exclame « Ciel, une grue cendrée ! »

28 mai
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

La vie en ermite, dans sa simplicité, procure la paix de l’âme.

Cette vie procure la paix. Non que toute envie s’éteigne en soi. […] En rétrécissant la panoplie des actions, on augmente la profondeur de chaque expérience. La lecture, l’écriture, la pêche, l’ascension des versants, le patin, la flânerie dans les bois… L’existence se réduit à une quinzaine d’activités. Le naufragé jouit d’une liberté absolue mais circonscrite aux limites de son île. Au début des récits de robinsonnade, le héros […] est persuadé que tout est possible, que le bonheur se situe derrière l’horizon. […] Apaisé, il découvre que la limitation est source de joie.

5 avril
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

Et je fixe ce point très précis où les étincelles du brasier, propulsées vers le ciel, pâlissent et brillent d’un dernier éclat avant de se confondre aux étoiles. […] De mon duvet, j’entend crépiter le bois. Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu’un à qui l’expliquer.

15 avril
Dans les forêts de siberie
Campement au bord du lac Baïkal

Beauté des paysages, poésie de l’instant :

Un orage me chasse sous un cèdre. […] Le lac est une flanelle anthracite piquetée par un déluge d’aiguilles.

5 juin
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

Sylvain Tesson crée une philosophie de la cabane comme remède aux maux et transformateur de l’être :

La vie en cabane est un papier de verre. Elle décape l’âme, met l’être à nu, ensauvage l’esprit et embroussaille le corps, mais elle déploie au fond du cœur des papilles aussi sensibles que des spores. L’ermite gagne en douceur ce qu’il perd en civilité.

16 juillet
Dans les forêts de siberie - sylvain tesson
Image extraite du film

J’ai découvert qu’habiter le silence était une jouvence. […] La virginité du temps est un trésor. […] L’œil ne se lasse jamais d’un spectacle de splendeur. Plus on connaît les choses, plus elles deviennent belles. […] J’ai contemplé le poème des montagnes et bu du thé pendant que le lac rosissait. […]

Il est bon de savoir que dans une forêt du monde, là-bas, il est une cabane où quelque chose est possible, situé pas trop loin du bonheur de vivre.

26 juillet

Une philosophie de vivre qui laisse en nous une trace, bien longtemps après la lecture…

Un film documentaire retrace cette aventure en reprenant des extraits du livre :